mardi 16 août 2016

Faux autoportrait comme vraie fiction (Back to basics, 6)



J’aime le bon thé, la bonne bière, le bon vin. Je tourne toujours mes idées sept fois dans ma tête avant de signer une pétition. Des aliments que je n’aime pas pour leur goût ou leur texture ; ceux que je ne mange pas ou plus, je ne les digère pas, ils me rendent malade. Je déteste la société de consommation, la malbouffe aussi. Il m’arrive de boire du Coca et d’aller au McDo. J’aime le chant des oiseaux. Je sais en reconnaître, très peu. Je connais pas mal de ces herbes qu’on dit mauvaises par leur petit nom. Il vaut mieux être seule que mal accompagnée, cinquante pour en être certaine. En dehors du temps de travail, je ne supporte pas les contraintes. J’aime pouvoir changer de chemin quand j’en ai envie. De petits désagréments m’insupportent parfois plus que des vraies maladies. Je n’ai eu qu’un seul animal de compagnie, une chatte européenne noire, Cachou, elle a vécu dix-sept ans. L’exercice scolaire de la récitation ne m’a pas dégoûtée de la poésie. Je n’achète pas mes livres sur Amazone, je vais sur Place des Libraires pour les faire mettre de côté et aller les chercher en librairie. J’ai lu les quatre premiers tomes de « La Saga des émigrants » dans les Vosges, j’ai lu « L’insoutenable légèreté de l’être » à la cafèt’ du CROUS à Dijon, j’ai lu « Le meilleur des mondes » assise à même le carrelage, j’ai lu « Les Jolivet et les treize coups de minuit » sur la plus haute marche de l’escalier qui menait au grenier chez mes grands-parents, j’ai lu les Fantômette au fond de ma classe de CM1. J’aime manger des escargots et des cuisses de grenouilles n’en déplaise à mes amis d’outre-Manche. J’ai trois sœurs et un frère ; je suis l’aînée et j’ai six ans et demi de différence avec le plus jeune. J’aime toutes les couleurs. J’aime les camaïeux. J’aime regarder les matières et toucher les textures, les photographier aussi. Je ne porte jamais de pantalons taille basse. Je déteste voir les gens avec des baggys, on dirait qu’ils ont chié dans leur froc. Il m’arrive d’avoir du désir pour une femme devant moi dans la rue, d’être happée par sa démarche. Je déteste quand le temps ne passe pas. Je déteste quand il passe trop vite. Je ne suis pas claustrophobe. J’utilise facilement les ascenseurs. Je n’aime aller au cinéma, je me sens trop enfermée. Je suis prise de vertige. Je renonce à utiliser les escalators s’ils descendent et sont trop rapides. Si les escaliers sont vides en-dessous, je m’agrippe à la rampe pour monter. Je peux le faire, je traverse une passerelle « aérée » au-dessus de l’eau une fois par an ; c’est une épreuve. J’aime le cinéma en noir et blanc. Je peux regarder des classiques plusieurs fois sans me lasser. J’ai du mal avec le cinéma d’aujourd’hui. Je lis toujours la liste des effets indésirables des médicaments, on ne sait jamais. Longtemps je n’ai pas aimé la légère bosse sur mon nez ; aujourd’hui je l’ai adoptée comme un héritage. J’aime l’odeur qui monte de la terre après les premières gouttes de pluie. Je dors en pyjama, avec une petite culotte en coton et des chaussettes. L’été, je ne porte que des jupes longues, j’ai de vilains genoux. L’hiver, ça va, j’enfile des collants épais. Je ne regarde pas la télé, je préfère écouter la radio ; elle aussi n’est plus ce qu’elle était. Sans lunettes, le monde est flou quelle que soit la distance. Ils disaient "il faut couper le cordon ombilical", la faux a terminé le travail laissé inachevé par le bistouri. Je me suis coupé les ongles, je n'aurai plus que le bec pour me défendre. Mettre des robes c’est compliqué ; je ne fais pas la même taille pour le haut et le bas. Je n’aime pas les boîtes de nuit. Une fois, pour faire plaisir à une copine, c’est son anniversaire. Tenter de lire dans les toilettes pour passer le temps ; même là, trop de bruit. Regarder les gens dans le bus et le métro. Essayer de deviner d’où ils viennent, où ils vont, ce qu’est leur vie, où va la mienne.

Ce texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de l'été 2016 : « back to basics, 6 | le faux autoportrait comme vraie fiction » proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.




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