mardi 22 novembre 2016

Fall mourning








La nuit d’obsidienne a laissé place à l’aube. Dans le soulèvement de la brume, l’horizon, rincé par la pluie, s’aquarelle. Les arbres dévêtus de leur parure d’été portent le deuil à leur pied. La lumière du soleil se diffracte sur les feuilles humides diaprant l’air de tessons aux nuances opalines.

Au bord de la semaine, se reposer… un autre matin, une autre promenade au bord de la rivière du deuil. Seule, devant la fenêtre, écouter le gazouillement des mésanges, chercher le réconfort dans le fredonnement du vent. Une larme coule sur la vitre. Frôlement de ses douces ailes. Souffle, murmure...




mardi 15 novembre 2016

Sentinelle de granit



 


La nuit afflue vers les pierres millénaires,
la silhouette de la gargouille grimaçante
chasse les derniers vestiges du jour.

Gargouille au regard pétrifié, à la gueule béante,
tu n’es pas une menace, tu veilles
sur le cours lent de mes heures nocturnes.

J’affronte les ténèbres,
chemin vers d’obscurs mystères.
Je m’égare sur des routes,
promesses d’énigmatiques rendez-vous.

Éternelle sentinelle de granit,
ultime veilleuse matinale,
de ta masse familière,
tu m’accompagnes au-devant de l’absolu.


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Ce texte a été publié pour la première fois sur « Rencontres improbables », le blog de Lanlanhûe, dans le cadre des Vases Communicants d'octobre 2016.






mardi 8 novembre 2016

Fractales



© Franck Queyraud Le Rhin, ses nuages et tout ce qu'on ne dit pas

Sa venue au monde fut comme la traversée d’un tunnel long et obscur. Elle en garde un goût pour les voyages immobiles et solitaires. Enfant, on la dit timide et renfermée ; on la trouve taciturne. Sa compagnie préférée, les personnages des histoires qu’on lui raconte puis des romans qu’elle lit.

Lorsqu’elle franchit la porte de la maison, elle marche en regardant ses pieds au bout desquels s’ouvre un univers de surprises et de rencontres.
Sur les trottoirs de la ville, elle recherche les pousses vertes dont le combat entêté contre le goudron la réjouit et elle tente de décrypter les traces laissées par l’humanité si peu soucieuse de respect. Dans l’herbe, elle part en quête de trèfles à quatre feuilles, observe les insectes affairés et cueille parfois quelques fleurs qu’elle laisse sécher entre les pages des livres.
Elle rapporte toujours dans sa poche quelques cailloux dont elle aime les couleurs et les formes, dans ses oreilles les voix des hommes et les sons de la nature.

Un jour que ses yeux précèdent ses pas sur le chemin, elle trébuche et tombe. A plat ventre dans l’herbe, elle se retourne, voit le ciel, découvre les nuages et leur course, elle apprend la fuite éperdue. Elle part vers l’horizon. Chaque regard lui révèle que l’univers qui se déroulait au bout de ses pieds est l’abrégé du cosmos tout entier.

Elle, n’est qu’une partie du Grand Tout. Elle suit les nuages et le fleuve jusqu’à la mer.
Dans le sable de la plage, elle cherche les cailloux lissés par le flux et le reflux, les coquillages nacrés par l’alchimie de l’eau et du vent. Elle déchiffre les dessins de l’écume et ceux laissés par la mer lorsqu’elle se retire. Elle écoute le ressac des vagues.

Silence.

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Ce texte a été publié pour la première fois sur « Mémoire silence », le blog de Franck Queyraud, dans le cadre des Vases Communicants de septembre 2016.





vendredi 4 novembre 2016

Vases Communicants du 4 novembre 2016 : Invitée : Hélène Verdier

Chevets



Comment s’étaient-ils rencontrés ? 
Par hasard, comme tout le monde. 
Comment s’appelaient-ils ?
Que vous importe? 
D’où venaient-ils ? 
Du lieu le plus prochain. 
Où allaient-ils ? 
Est-ce que l’on sait où l’on va? 
Que disaient-ils ?
Denis Diderot, Jacques le fataliste (Incipit)


Comment s’étaient-ils rencontrés ? 
Ils s'étaient rencontrés sur le Rivage,  lieu unique du croisement de l'eau, du ciel et de la terre, le derrière soi et le devant soi séparés par le fil incertain du mouvement des vagues et des pas, et par le trait droit de l'horizon toujours menacé par les humeurs du temps et de l'être,
à croire que tout est à tous miracle et merveille et tombe des nues  (Guy Goffette)


Comment s’appelaient-ils ?
Ce pourrait-être moi ? Ne parlons pas de lui qui, selon moi, pourrait être plusieurs — je n'ai  pas la mémoire des noms. Au quotidien, je consulte un manuel de gymnastique photographique pour entraîner le souvenir en défaillance 
Utilisez les accumulateurs immédiatement après leur charge. Les accumulateurs peuvent perdre leur charge s'ils restent inutilisés. (D7000)


Que vous importe ?
Diable d'homme, drôle de bougre,  sacré Denis qui pose les questions pour esquiver les réponses sous la forme d'autres questions. À le lire, pardon pour ces irrévérences, je crois entendre les questions sans fin des enfants, de 7 ans forcément, qui jouent sous mes yeux sur la plage en construisant châteaux de sable, et le parent-mentor lassé de répondre «et pourquoi, et pourquoi ? et pourquoi quoi ?»
Working on the edge : travailler sur le fil du rasoir, terme utilisé pour parler de la pêche au crabe. (Catherine Poulain)


D’où venaient-ils ? 
De tabernacle en tabernacle, la réponse semblait identique pour l'un(e) comme pour l'autre nous épargnant ainsi la difficulté d'un semblant de dialogue sur l'origine, affalés dans des chaises longues inoccupées — mais tournées vers une tente en tabernacle qui venait masquer tout espoir d'horizon.
[...] ce sein qui déjà peut-être me portait dans son ténébreux tabernacle sorte de têtard gélatineux lové sur lui-même avec ses deux énormes yeux sa tête de ver à soie sa bouche sans dents un front cartilagineux d'insecte, Moi ?... (Claude Simon).


Où allaient-ils ?


Nul pas même moi ne le savait. Mise à part la certitude qu'un jour il y aurait une dernière nuit sur terre. Et parce qu'à ce moment là, face à la mer,  je pensai à Marthe dans sa baignoire (depuis Villers-sur-mer souvenir du Canet).
Madame flottait dans sa baignoire devenue trop grande comme le bouchon sur la vague. (Didier Goupil).


Est-ce que l'on sait où l'on va ?
Mettons-donc de côté la question de l'ultime ou du dernier. Je, on, ils avancent masqués à la recherche de... Ici sans nul doute la réponse ne peut être impropre. Il s'agit de chacun.  Avec les outils reçus et les outils forgés il faut bien creuser la terre, ratisser le sable, malaxer la matière. Je songeai à l'énergie de Louise, ce petit bout de femme,  dans son sacré combat pour imposer sa dignité. 

Comme convenu, j'appelle Louise Bourgeois pour lui dire au revoir et l'assurer que tout va bien. [...]. Non  je n'ai pas oublié son masque. Je dis «son masque» sans y penser. Oui je l'ai bien emballé. Il arrivera sain et sauf. Non je ne sais toujours pas à quoi m'en tenir avec lui. Au moment de nous quitter, Louise Bourgeois hurla à l'autre bout du fil : Cela n'a rien à voir avec la mort ou avec les beaux-arts ! Les masques ont assez de force pour leur résister.  (Xavier Girard).


Que disaient-ils ? 
Elle parlait de Barthes et aussi de poésie.
La voix de Barthes me conduit vers un dernier Haïku («mais non ultime», il est du grand Bashō, je le connais par cœur :
 Comme il est admirable
Celui qui ne pense pas «la vie est éphémère»
En voyant un éclair
La nuit est vaste, splendidement étoilée, la mer est tranquille. Je suis tranquille moi aussi, tout peut commencer, tout est clair à présent. (Colette Fellous).

*   *
*

Il ne répondit rien. Il regardait dans le ciel le tout premier éclair qui annonce l'orage.  Plongé dans ses pensées, ou peut-être s'agissait-il des prémisses d'un trouble ?
Une stéréotypie idéo-comportementale (...). J'aime les catastrophes aériennes parce qu'elles répondent toujours à une logique précise qu'on peut découvrir d'après des indices parfois ténus ; et j'aime le scrabble parce qu'il ravale à l'arrière-plan la question du sens des mots et permet de faire autant de points avec «asphyxie» qu'avec «oxygène». (Emmanuel Venet).
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Sur ma table de chevet, il y a quelques piles de livres d'où sont extraits, dans l'ordre des 7 questions de l'incipit,
7 excipit, en italiques :
Guy Goffette, Petits riens pour jours absolus. L'usage des villes (une prière), Gallimard, p.108
Nikon, D7000, Manuel d'utilisation, p.321
Catherine Poulain, Le grand marin, Editions de l'Olivier, p.373 (merci à Elisabeth Lamiscarre)
Claude Simon, Histoire, La Pleiade, p.416
Didier Goupil, traverser la Seine, Le serpent à plumes,  (fin non paginée)
Xavier Girard,  Louise Bourgeois, face à face, Seuil, p.160-161, merci Xavier.
Colette Fellous, La préparation de la vie, Gallimard p.202, 203
et
Emmanuel Venet, Marcher droit, tourner en rond, Verdier, p.28 (citation dans le corps du texte)

Tout ceci n'est qu'un jeu, un exercice de style. 
Mais tout est véridique, à commencer bien sûr par la pile de livres.

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François Bon a été à l’origine de ces échanges le premier vendredi de chaque mois, que j’ai découverts alors qu’ils étaient coordonnés par Brigitte Célérier ; Angèle Casanova a pris le relais à partir de novembre 2014. Je remplace Angèle depuis bientôt un an.


Aujourd’hui, j’ai donc le très grand plaisir de recevoir Hélène Verdier pour ces Vases Communicants et de publier son texte sur La dilettante. Nous avons choisi d’écrire chacune à partir d’une photo de l’autre en écho à l’incipit du « Jacques le fataliste » de Diderot.


Je la remercie d'accueillir mon texte « Est-ce que l’on sait où l’on va ? » sur « Simultanées ».


mercredi 2 novembre 2016

Tanka mélancolique : Poème court




Par-delà la brume
que nul regard ou lumière
ne peut traverser,
ta voix que j'ai crue éteinte
nous encourage et rassure.


Bande-son (Musique du Japon Impérial : Rokudan)

 



Ce texte a été publié pour la première fois dans le cadre d'une dissémination sur le thème « Ecrire le temps ».